Féminisme militant ou féminisme d’Etat : quelle trajectoire choisir ?

Publié le par pisanyouma

    Le féminisme est une doctrine ou une philosophie qui vise la promotion des droits et des intérêts des femmes dans la société, ainsi que leur libération de toutes formes d’oppressions. Au bénéfice de combats multiséculaires portés tant par des anonymes que par des personnalités historiques, le 21ème siècle s’affirme aujourd’hui comme celui de la montée en puissance des femmes dans toutes les sphères de la société. Loin de constituer un fait banal il y a encore de cela quelques décennies, la promotion et la défense des droits des femmes jouissent désormais d’une légitimité internationale incontestée. Mais cette quête de l’amélioration du statut de la femme n’a pas connu les mêmes trajectoires partout. Dans la majorité du monde occidental, elle a été fortement soutenue par un activisme aux tendances révolutionnaires, tandis qu’en Afrique, les problématiques féminines ont été fortement impulsées et encadrées par l’Etat, donnant ainsi lieu à la prégnance d’un féminisme d’Etat, ou féminisme institutionnel.

    Toutes les femmes du monde entier, indépendamment des considérations raciales, sociales ou politiques, ont un devoir de reconnaissance et de gratitude à l’égard des militantes avant-gardistes, qui se sont battues contres les injustices faites aux femmes.

   Si le droit de vote féminin est aujourd’hui généralisé, y compris aux Saoudiennes qui pourront en jouir dès 2015, c’est en grande partie grâce à la lutte acharnée des « Suffragettes », qui avaient pris le risque au prix de nombreuses souffrances (emprisonnement, tortures et violences diverses), de se battre pour le droit de vote des femmes en Grande-Bretagne, au début des années 1900.

  La Journée Internationale de la Femme qui suscite aujourd’hui un engouement inégalé dans plusieurs pays, a été célébrée pour la première fois en 1911 en Allemagne, en Autriche, au Danemark et en Suisse, avec en toile de fond les revendications du droit de vote, du droit d’exercer une fonction publique et du droit au travail, à la formation professionnelle et à la cessation de la discrimination sur le lieu de travail.

   En 1968, le Mouvement de Libération des Femmes (MLF), cofondé en France par Antoinette FOUQUE, Monique WITTIG et Josiane CHANEL, dans le sillage des mouvements sociaux de mai 1968, avait entre autres permis de dénoncer la chosification de la femme en tant qu’objet sexuel, le viol, les violences conjugales, la prostitution, et de revendiquer des conditions égalitaires pour les femmes et les hommes.

    Dans l’histoire contemporaine africaine, en dehors des actions remarquables de quelques figures marquantes telles que la Guinéenne Aoua KEÏTA, la Kenyane Wambui OTIENO ou la Mozambicaine Josina MUTHEMBA MACHEL,  le féminisme militant a eu du mal à s’organiser de manière structurée et n’a pas réussi à se constituer en force capable d’influencer significativement le processus décisionnel des politiques en faveur des femmes. Certains observateurs dénoncent d’ailleurs l’« embourgeoisement » d’un militantisme féministe africain intéressé, qui défend l’agenda des bailleurs de fonds internationaux, pas toujours en phase avec les attentes et les réalités locales. Par ailleurs, les associations qui s’efforcent de faire un travail de terrain de fond, sont très peu en vue ou soutenues financièrement. Comme il fallait s’y attendre, la faiblesse des mouvements féministes africains a favorisé la domination du féminisme institutionnel.

   La Tunisie a une histoire ancienne et assez emblématique du féminisme d’Etat, depuis le premier Président de ce pays, Habib BOURGUIBA. En effet, le 13 août 1956, le Président BOURGUIBA avait promulgué le Code du Statut Personnel, qui proclamait l’abolition de la polygamie, le remplacement de la répudiation par le divorce judiciaire, le droit des femmes de travailler, d’ouvrir des comptes bancaires, de se déplacer ou de créer des entreprises sans l’autorisation de leurs époux. Il faut dire qu’à cette époque, la Tunisienne pouvait se considérer comme une privilégiée, comparativement aux autres femmes d’Afrique et du monde arabe.

    Partout ailleurs sur le continent, le féminisme institutionnel s’est traduit pas l’adoption de textes internationaux sur les femmes, à l’instar de la Convention sur l’Elimination de toutes les formes de Discriminations à l’Egard des Femmes (CEDEF), la création d’administrations et de structures spécifiquement dédiées aux problématiques féminines et la nomination des femmes à de hauts postes de responsabilité. Le constat qui s’impose de manière générale, est que les différentes mesures ainsi adoptées souffrent de l’absence d’un ancrage idéologique fort et permanent, parce qu’elles reposent sur un ordre pyramidal décisionnel décroissant (du sommet à la base). Dans ce contexte, il est difficile de cerner la sincérité, la cohérence et l’endogéneité des politiques publiques en direction des femmes, surtout eu égard au fait que la prise en compte du genre et le respect de l’égalité des sexes, sont devenues une conditionnalité à l’accession de bon nombre de programmes d’aide et de coopération au développement.

    Qu’à cela ne tienne, le féminisme d’Etat ne saurait être expulsé dans des Etats en construction et soucieux de préserver leurs spécificités et identités culturelles, car il a l’avantage de pouvoir faire barrage au déferlement des doctrines féministes ultralibérales, qui promeuvent des causes telles que la légalisation de l’avortement, de l’homosexualité, de la transsexualité, la libéralisation des mœurs…, qui sont contraires aux lois et valeurs des peuples africains. D’où notre appel aux pays africains à jouer le rôle de régulateur, sans pour autant étouffer ou instrumentaliser le militantisme de la société civile féministe. Cette dernière doit pour sa part, apprendre à se constituer en think tank et en lobbying indépendants de toutes manipulations étrangères, pour une transformation profonde, authentique et un progrès réel du statut de la femme en Afrique. /-

  

 

Pour en savoir plus sur ce sujet, bien vouloir consulter notre webographie

1)      Sophie BESSIS, « Le féminisme institutionnel en Tunisie », Clio, numéro 9-1999, Femmes du Maghreb, [En ligne], mis en ligne le 22 mai 2006. URL : http://clio.revues.org/index286.html. Consulté le 28 septembre 2011.

2)      Origines de la Journée internationale de la femme sur le site de l’ONU à l’adresse http://www.un.org/fr/events/women/iwd/2011/history.shtml

3)      8mars-online.fr

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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